Laurence PIOUX
Noyade orchestrée
Quel saisissant ravissement ! Joyeuse substance !
Alors que la liesse s’empare de moi, je laisse sa chaleur m’envahir.
Quelles que soient les saveurs révélées, je la vénère.
Alors que le bonheur me submerge, je m’adonne à sa délectation.
Quelles que soient les formes revêtues, elle m’autorise une certaine sérénité.
Je me vois prendre mon essor, mes forces me paraissent décuplées.
Chanter, danser, rire devient si aisé sous l’emprise des essences vaporeuses.
Le ton de ma voix est graduellement rehaussé, l’auto assurance me saisit.
Je goûte à ces plaisirs si superficiels de la vie, la futile sociabilité conventionnelle.
Et puis l’habitude …. !
Habitude de m’enivrer, de perdre mon objectivité.
Habitude de me détacher inutilement de la réalité.
Alors que rien ne m’y prédisposait : habitude de fuir, de me fuir.
Tandis que le malheur me frappe, je sirote cette liqueur enivrante.
Quelles que soient les teintes adoptées, elle semble égayer mon quotidien.
Tandis que les angoisses s’amplifient, je l’ingurgite goulûment.
Quelles que soient les circonstances, elle comble le vide intérieur.
L’esprit embrumé je me perds, mon discernement est altéré.
Mes gestes deviennent saccadés, mes propos incohérents.
Tout ce que je fais n’est que chaotique, une désorganisation magistralement orchestrée.
Vacillante, le tournoiement de la vie m’aspire.
Seule face à mon dégoût, je me cache.
La décrépitude me guette, la foule alentour me fuit.
Prise au piège, je suis aspirée par le mécanisme de l’engrenage.
Les créneaux de ses rouages m’engloutissent inéluctablement.
La spirale de la descente aux enfers me dévore.
Je crache, régurgite, vomis.
Les acides me montent à la bouche.
Le sang prend place dans mes cavités buccales.
Une odeur putride me sert d’haleine.
La moisissure me ronge de l’intérieur.
Mes viscères endoloris me torturent.
Je suis méconnaissable : je suis morte.
Quel insidieux poison ! Morbide et macabre spiritueux !
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Editions du Panthéon
ISBN 978-275-472-946-8